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Le blog de Xiu
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26 décembre 2007

On l’appelle « grand-mère melon »

Wu Mingzhu a 77 ans, mais elle porte bien son âge. Cette femme de petite taille se déplace à petits pas rapides et parle d’une voix posée dans laquelle on sent une passion retenue. Elle habite dans le département de Turpan, dans l’est du Xinjiang. Avant mon entrevue, on m’avait prévenue qu’elle n’aimait pas beaucoup parler d’elle-même. Mme Wu est spécialiste du « melon de Hami ». Si cette variété de melon est maintenant cultivée à bien des endroits du pays, son berceau est le Xinjiang, où il est le plus sucré.

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Le melon acide a la faveur des gens qui doivent limiter la consommation de sucre.

Je suis arrivée avant 8 h et vous étiez déjà au travail. Est-ce une habitude quotidienne?

Oui, parce qu’à partir de 11 h et jusqu’à 17 h, il fait une chaleur insupportable. À Turpan, il fait plus de 40 °C, quarante jours par année. C’est parfait pour la culture du melon et du raisin, mais pas pour les humains.

Il me semble que vous ayez un certain accent du Sud. Comment expliquez-vous cela?

Ma famille vivait à Nanjing, au Jiangsu. Mon père était professeur d’anglais et ma mère, infirmière. Moi, je suis née à Wuhan, au Hubei, en 1930. J’étais encore très petite quand les Japonais ont envahi la Chine. Une grande partie de la population s’est alors déplacée pour les fuir. C’est ainsi que ma famille est allée s’établir au Sichuan. Le danger passé, nous sommes retournés à Nanjing, et ensuite je suis allée à Chongqing faire mes études universitaires.

Pourquoi avez-vous choisi l’agriculture comme matière d’études universitaires?

En fait, mon père me voyait plutôt en ingénierie parce que je réussissais très bien en mathématiques. Mais ma santé était plutôt faible et je devais me ménager. J’ai fait mon propre choix.

Et vous vous êtes inscrite à l’Institut d’agriculture du Sud-Ouest.

Oui. J’ai obtenu mon diplôme à l’âge de 23 ans. J’ai été profondément marquée par mes quatre années d’université. Nous avions un professeur japonais qui nous répétait qu’il fallait faire soi-même et chaque jour un pas de plus. Je n’ai jamais oublié ce mot d’ordre. À chaque étudiant on assignait un petit terrain (20 m2). Nous devions labourer, semer, fertiliser, sarcler, arroser. Je n’ai pas de mérite, nous développions tous ce même esprit.

Y a-t-il d’autres leitmotivs qui ont guidé votre vie?

Oui. « Servir le peuple ». À 21 ans, j’ai écrit dans mon journal que c’était ce qu’il y a de plus beau au monde. Deux fois j’ai pris part à une campagne de promotion de l’agriculture.

Concrètement, cela se passait comment?

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Les graines de ces melons ont passé un mois dans l’espace interplanétaire.

Il fallait aller dans chaque foyer et aider la famille à accomplir une tâche assignée dans un délai prescrit. La ponctualité était une qualité fondamentale des Chinois.

Pourquoi avoir choisi de « servir » au Xinjiang?

Depuis mon enfance je désirais travailler à la campagne. À la fin de mes études, notre institut nous proposait de choisir des régions en difficulté comme le Yunnan, le Guizhou, le Sichuan. Personne n’était obligé de choisir la misère, pourtant 90 % des nouveaux diplômés le faisaient, volontairement. C’est au Xinjiang que je voulais aller, et mon choix a été accepté.

Vous avez eu de la chance!

Pas tout de suite cependant. J’ai d’abord travaillé dix mois au Sichuan, puis pendant un an et demi à Beijing pour le Bureau national de la main-d’œuvre rurale. J’étais très loin de ma spécialité et je n’aimais pas faire du travail de bureau. Or, en 1955, le Xinjiang avait besoin de spécialistes, surtout en agriculture, et ce fut l’occasion pour moi de mettre mes connaissances à contribution, sur le terrain.

Comment voyagiez-vous alors?

En camion! Il nous a fallu quinze jours pour parvenir à Ürumqi.

Pas à Turpan?

Je devais attendre mon tour.

Turpan vous a-t-elle plu dès votre arrivée?

(Elle rit.) La période d’adaptation n’a pas été facile! La première difficulté se trouvait dans la vie quotidienne. Je n’avais jamais mangé de mouton auparavant et n’en supportait pas l’odeur. À Turpan, au sein d’une population ouïgoure, on en mangeait tous les jours! La première fois, mon estomac s’est révolté. Je me suis mise à pleurer. Et aujourd’hui, je préfère même le mouton au porc.

Vous avez dit « première difficulté ». C’est donc qu’il y en a eu d’autres...

Pour dormir, nous couchions côte à côte sur un grand kang (lit en brique chauffé par des tuyaux qui passent dessous) et on me donnait, comme à une invitée, la meilleure place, c’est-à-dire celle où la chaleur est le plus intense. Mais c’était aussi la place où il y avait le plus de puces! (Éclat de rire.)

Et ensuite?

Ensuite, les paysans chez qui j’étais cultivaient du blé. Je devais les aider et n’avais plus de temps à dédier à ma spécialité : la recherche sur les melons. Et le travail physique était extrêmement pénible. Un jour, après la récolte, j’étais tellement endolorie que je ne pouvais plus bouger.

Quelle langue parliez-vous avec la population locale?

Voilà, j’y venais. C’était la quatrième difficulté. Comme je vivais au milieu des Ouïgours, j’ai appris leur langue petit à petit. Au début, à cause de ma mauvaise prononciation, on se moquait de moi. Je disais quelque chose et on en comprenait une autre. Mais les Ouïgours m’ont vite adoptée... Ils m’ont même donné un nom ouïgour : Ayimuhan.

Qui veut dire?

Fille Lune.

Vous aviez l’occasion de retourner voir votre famille?

D’abord, lorsque j’ai été nommée pour le Xinjiang -- j’étais alors à Beijing -- je suis allée saluer ma famille à Nanjing. Tous étaient très heureux de me revoir; ils m’attendaient depuis longtemps. Mais lorsque j’ai annoncé la nouvelle de mon départ pour si loin, ils ont cessé de sourire et n’étaient pas d’accord. Ils disaient que ce serait trop dur pour ma santé. J’ai tenu tête, cependant. Ma mère voulait m’accompagner à la gare. J’ai accepté à condition qu’elle ne pleure pas. Elle s’est retenue, mais trois jours après mon départ, elle a dû prendre le lit.

On peut le dire puisque c’est connu: vous n’avez pas de relations très étroites avec votre famille. Un jour, vous vous êtes mariée. Comment avez-vous vécu votre vie de couple?

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Mme Wu connaît chacun de ses melons.

Yang Qiyou enseignait au Jiangsu, à l’université. En 1956, il a quitté son poste pour me suivre. Il a enseigné à l’université d’Ürumqi. Je ne cuisinais pas, mais lui oui, et très bien. Il m’apportait même à manger sur mes lieux de travail. Il prenait soin de moi plus que de lui-même, et il prenait part au travail des cultivateurs afin de me soutenir. En 1982, sa santé s’est mise à décliner, sans raison apparente. Alors, il est retourné au Jiangsu et moi, je suis restée ici. C’était un cancer de l’estomac qui le minait. J’y suis allée à la fin, avant son décès en 1986. Je lui ai demandé si c’était à cause de moi qu’il était venu au Xinjiang; il a dit que c’était de son propre chef. C’était un homme très dévoué. Il a enseigné vingt ans à Ürumqi, mais seulement quatre ans à Nanjing. Il a perdu toutes ses chances de promotion ou de mériter un titre. Je ne regrette qu’une chose, c’est de l’avoir négligé.

Après le décès de Yang Qiyou, Mme Wu est revenue au Xinjiang où elle vit simplement, et mène une vie des plus sobre.

Qu’en est-il de vos enfants?

Dix jours après la naissance de mon fils, ma mère est arrivée au Xinjiang pour m’aider. Après trois mois, elle a emmené mon fils à Nanjing et c’est elle qui l’a élevé. Ma fille, elle, est née à Nanjing. Après la fête de ses cent jours, je suis revenue à Turpan. Elle appelait sa tante « maman ». Elle dit maintenant que sa mère ne l’a jamais changée de couche. Elle a raison.

N’auriez-vous pas pu avoir les enfants avec vous à Turpan?

On me l’a offert, mais j’ai dit que je ne pourrais faire un bon travail avec deux enfants à élever. Je n’ai même pas assisté au mariage de mes enfants. J’aime plus mes melons que mes enfants, avoue-t-elle avec un sourire amer.

En quoi consiste votre travail?

Ce que je souhaite le plus aujourd’hui, c’est de voir nos melons être introduits sur le marché et les cultivateurs s’enrichir. Le Xinjiang cul-tive cent-un types de melons, et Turpan, quarante, dont trente nouveaux types, nés des efforts de notre équipe. Il peut sembler facile d’introduire un produit sur le marché, mais il reste encore bien des problèmes à résoudre. Par exemple, il faut développer une écorce plus mince pour diminuer le poids, mais une écorce qui résiste aux mouvements du transport; il faut développer des melons qui se conservent jusqu’à l’hiver. Ensuite des melons qui sont assez petits pour être consommés en une seule fois, qu’on n’ait pas à les mettre au frigo; et même des melons qui sont beaux, avec une écorce sans taches et sans irrégularités. Il en faut pour tous les goûts et les besoins : des variétés à divers degrés de sucre, du melon acide au très sucré.

Même si vous n’avez pas encore réalisé tous vos objectifs, vous avez atteint un succès certain. À qui en attribuez-vous le mérite?

J’ai réussi grâce à cinq appuis. En premier lieu, l’appui des agriculteurs des alentours. Je vous donne un exemple qui m’émeut encore. Au printemps 1957, j’étais partie avec une vingtaine de personnes en stage sur la culture des melons. Puis un jour, j’ai décidé de rentrer à Turpan pour affaires personnelles, sans prévenir personne; on s’est beaucoup inquiété toute la nuit et tout le groupe est parti à ma recherche. Quand ils m’ont retrouvée, les gens pleuraient de joie. Je ne m’étais pas rendu compte qu’on tenait autant à moi. L’appui venait aussi de la direction de l’Institut qui m’aidait dans mes recherches et mes études. Le gouvernement de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, pour sa part, me fournissait les instruments de recherche nécessaires. L’appui venait même d’autres pays, entre autres, les États-Unis et le Japon, qui reçoivent mes étudiants pour le doctorat. Avec les États-Unis, la collaboration est très enrichissante; on partage l’expérience et les fruits de la recherche. Ils m’ont enseigné à soigner une maladie du melon.

Vous y êtes allée vous-même?

Oui, assez souvent, comme aussi en Israël et au Japon.

D’autres pays vous fournissent-ils des capitaux?

Les fonds de recherche proviennent uniquement de la Chine : le Xinjiang au début, puis le Centre de recherche sur le melon de Hami de l’Académie des sciences agri-coles du Xinjiang. Avec Taiwan et Shanghai également, la collaboration est étroite.

Un certain temps, vous faisiez l’aller-retour entre le Xinjiang et Hainan. Pourquoi?

C’est que les conditions de recherche offertes par cette province insulaire étaient favorables. Je dois souligner aussi l’appui reçu de mes collaborateurs immédiats, mes collègues de recherche et mes disciples.

Vous avez sans doute reçu des prix au cours de votre carrière. Lesquels sont les plus importants pour vous?

J’ai reçu beaucoup d’honneurs, mais le plus grand est d’être devenue membre du Parti communiste chinois en 1953.

Avez-vous fait de la recherche ou de l’enseignement à l’étranger?

J’ai souvent eu des occasions, mais j’ai toujours refusé. Je suis bien plus utile auprès de mes melons!

Big-bisous à toutes et à tous. @+Domi&Xiu.ReporterchineXiu

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Commentaires
L
Merci de ton passage sur ma messagerie. J'espère que tout va bien. Tous mes voeux pour ces fêtes de fin d'année. <br /> A bientôt.<br /> Hélène
L
Bonjour, je viens d'apprendre pas mal de chose sur la vie en Chine Merci
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