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Le blog de Xiu
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26 novembre 2007

Vivre au Canada sans abandonner la Chine

Il y avait des années que je voulais interviewer Wang Shuibo et Yu Li, mais lorsque j’allais au Canada, ils étaient en Chine ou ailleurs, ou le temps me manquait. J’ai finalement dû les interviewer séparément. Je suis arrivée chez Yu Li un matin, à 10 h. Elle m’attendait, toute souriante et douce, comme je l’ai toujours connue. À la façon chinoise, dès mon arrivée, elle m’a offert du thé.

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Le couple, en février 2007, lors de l’anniversaire de Yu Li

Depuis combien d’années êtes-vous installée au Canada?

Depuis dix-sept ans. Je suis venue à l’âge de 23 ans, j’ai donc passé presque la moitié de ma vie au Canada.

Vous êtes venue avec votre mari?

Il est parti de la Chine un peu avant moi.

Êtes-vous la seule de votre famille à avoir émigré?

J’ai une sœur de trois ans ma cadette, qui vit aussi à Montréal avec son mari depuis treize ans. Ils travaillent tous les deux en informatique, mais les mises à pied sont incessantes dans les grandes compagnies, si bien qu’ils s’apprêtent à retourner en Chine maintenant. Quant à mes parents, ils viennent assez souvent. Ils sont ici présentement.

Ont-ils jamais songé à rester?

Non. Mon père s’ennuie vite de Beijing quand il est à Montréal. Sa vie est là-bas et il trouve qu’il n’y a pas grand-chose à faire et à voir ici.

Et vous, pensez-vous retourner vivre en Chine un jour?

Peut-être quand j’aurai 50 ans, lorsque mes enfants auront commencé l’université. Je m’ennuie de mes amis d’enfance, de la bonne bouffe, et du plaisir de bavarder dans ma langue maternelle. De plus, la vie ici est trop tranquille pour moi, le téléphone peut rester silencieux pendant des jours. J’ai un ami qui fait le commerce des meubles anciens. Il dit : « Aux États-Unis et au Canada, c’est comme si vous viviez dans un joli jardin, mais il n’y a rien à faire; en Chine, c’est comme si on vivait à côté d’un dépotoir, mais notre vie est bien plus excitante! » Mais quand on a des enfants, on ne peut faire tout ce qu’on voudrait.

Vos filles sont déjà allées en Chine, n’est-ce pas? Qu’en pensent-elles?

Elles y sont allées de décembre 2005 à mars 2006. Elles aiment bien y aller en visite; elles disent qu’en Chine il y a de bonnes choses à manger et qu’on s’amuse bien, mais qu’elles ne voudraient pas y fréquenter l’école. Je suis d’accord avec elles.

Que reprochez-vous au système d’éducation chinois?

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La famille, à Beijing

Moi-même j’ai toujours fréquenté de très bonnes écoles en Chine et j’ai travaillé fort pour cela. Les enfants chinois subissent une forte pression; toujours la compétition pour entrer dans les meilleures écoles et à l’université. Ils sont surchargés de devoirs à domicile. Et l’on apprend bien des choses inutiles. Au Canada, l’enseignement est beaucoup plus créatif. L’enfant apprend en faisant, et non en mémorisant. Yixuan est en 3e année et Yimeng en 1re. Au cours de musique, elles apprennent le chant et le xylophone en pre-mière et deuxième années, la flûte à bec, en troisième, puis, en quatrième année, elles auront le choix entre la clarinette et le violon. Elles font des recherches même au cours primaire; l’enfant n’apprend pas des choses par cœur; il s’éduque, guidé par son enseignant. Et elles ont une bonne formation en art et artisanat : théâtre, poterie... Elles ont très peu de devoirs et ont le temps de jouer. Ce sont des enfants heureuses.

Fréquentent-elles une école publique?

Oui, mais c’est une école « alternative ». Il y en a plusieurs du genre. Le recrutement se fait par tirage au sort, car il y a de longues listes d’attente. La partie pédagogique est la même que dans les autres écoles, mais on y donne un enseignement enrichi aux enfants. Je suis très satisfaite de cette école.

L’école est-elle loin de chez vous?

Non, seulement à une dizaine de minutes, et c’est surtout pour cette raison que nous avons choisi cette école pour nos filles. Nous avons acheté cette maison en 1994. Nous sommes très bien situés, à proximité de la montagne, de la piscine; nous allons faire de la bicyclette, du patin. J’aime bien sortir à pied.

Près de votre travail aussi?

Je ne travaille plus à l’extérieur. J’aime bien être une maman à temps plein. Avant d’avoir des enfants, j’ai travaillé sept ans à la section chinoise de Radio-Canada internationale. Ensuite, j’ai fait de la traduction (je suis diplômée de l’Université des langues étrangères de Beijing en 1989), mais comme les Chinois sont de plus en plus nombreux à Montréal, il y a de moins en moins de travail.

Oui, mais... la qualité?

Je sais, vous avez raison, mais les employeurs ne le savent pas.

Vos filles parlent-elles chinois?

C’est la langue de la famille. Aussi elles suivent des cours le samedi après-midi pour apprendre à écrire.

Quand je vivais à Montréal, on n’enseignait que le cantonais aux enfants des immigrants chinois.

Maintenant on peut étudier le putonghua partout. Ces écoles sont nombreuses. L’importation de produits alimentaires aussi s’est beaucoup développée; nous pouvons trouver tout ce dont nous avons besoin!

Quelle sorte d’enfant étiez-vous?

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Les fillettes découvrent leur culture d’origine en confectionnant des jiaozi.

Une enfant docile; sinon, gare à moi! Il ne fallait jamais se disputer entre sœurs. J’étais aussi une bonne élève, mais j’ai toujours été antipolitique et révolutionnaire. Une fois, quand j’avais 8 ou 9 ans, je me suis absentée d’une lecture en groupe sur Mao Zedong, prétextant que j’étais malade. Une camarade a rapporté mon absence, et le prof est allé voir mes parents, diplômés de l’université Qinghua dans les années 1960 et tous deux chercheurs en ingénierie à l’Académie des sciences de Chine, croyant qu’ils m’avaient influencée. Ma mère lui a répondu : « Ma fille a le droit de choisir ce qu’elle veut faire. » Dans mon enfance, je jouais du pipa. J’aimais bien les arts. Mes enfants aussi. Le samedi nous écoutons l’opéra à la radio ensemble. Elles aiment également la musique classique chinoise. Elles rêvent de devenir chanteuses, dessinatrices de mode ou vedettes de cinéma.

Comment définiriez-vous une éducation réussie?

C’est une éducation dans et à la liberté. Viser à accomplir de grandes choses. Au point de vue moral, il est important de savoir tenir sa parole. Il faut développer l’amour de l’art, qui nous console dans la tristesse ou la solitude. Être positif aussi. Par exemple, ma fille ainée m’a dit un jour : « Je ne suis pas chanceuse. Mon papa n’est jamais à la maison, mes grands-parents sont séparés, ma meilleure amie est retournée en Chine... » Je lui ai fait comprendre que, au contraire, elle était chanceuse, car ses grands-parents sont encore vivants, que sa maman ne travaille pas et est toujours à la maison quand elle rentre de l’école, et qu’elle peut aller en Chine revoir son amie.

Pour vous, qu’y a-t-il de plus important dans la vie?

(Sans hésitation) Mes enfants.

Et encore?

Les amis sont aussi importants. L’art. Et la nature.

Le voyage?

Oui. Ma mère aime toujours voyager et nous sortions souvent en famille quand j’étais petite. Avant d’avoir des enfants, mon mari et moi avons beaucoup voyagé partout dans le monde. Une fois, nous nous sommes rendus en voiture jusqu’à Seattle -- 12 000 km, aller-retour. Avec nos enfants, nous sommes allés à plusieurs endroits en Europe, en Asie et aux États-Unis. Nous venons de visiter Cuba et nous irons à New York prochainement.

Puis, un mois plus tard, de retour en Chine, je poursuis l’entrevue avec Wang Shuibo.

L’an dernier, vous avez emmené vos filles en Chine; considérez - vous que c’est important dans leur vie?

Oui, car elles sont nées au Canada, mais elles sont chinoises; elles doivent connaître le pays de leurs parents, et faire la connaissance de leurs grands-parents. La Chine est tellement grande et les vacances étaient courtes; elles n’ont pu visiter que Beijing et Jinan.

Avez-vous déjà pensé à leur faire fréquenter l’école en Chine?

Oui, mais nous préférons le sys-tème scolaire canadien. Les écoles privées de Chine, ou écoles internationales, ont du sens, mais coûtent une fortune. L’école chinoise est basée sur une forte compétition. Le programme est très différent, et les enfants sont débordés de travail scolaire. Donc cette option présente un grand défi. Et il y a très peu d’écoles chinoises, dirigées par le gouvernement local, qui acceptent des étrangers.

Pensez-vous que vous êtes un « père absent », comme votre ainée s’en est plainte à sa mère?

Eh bien, depuis deux ans, j’enseigne à la CAFA (Central Academy of Fine Arts) , « my old Art School », donc je viens à Beijing deux fois par année pour un total de six mois. Une première solution serait de cesser d’enseigner -- de toute façon, je n’ai jamais pensé le faire très longtemps. Il y a de mes étudiants diplômés qui supervisent le programme, mais comme c’est ma première responsabilité de le diriger, il n’est pas très facile de quitter. Une autre possibilité serait que nous venions ici toute la famille pour un certain temps. Après les Olympiques, pas avant! Nous avons des enfants, et leur éducation est notre priorité. Sinon, nous serions revenus en Chine depuis des années.

De quelle université êtes-vous diplômé?

De la CAFA, l’école d’art la plus prestigieuse de Chine. Ma spécialité était l’illustration.

Comment définiriez-vous votre travail?

En ce moment, je suis professeur invité à la CAFA et réalisateur de films en même temps. Je travaille avec Radio-Canada et avec l’Office national du film du Canada, au studio d’animation de langue anglaise fondé par Norman McLaren. Je suis aussi président du département de cinéma de la CAFA, et j’enseigne la réalisation cinématographique.

Qu’avez-vous fait de mieux jusqu’à maintenant?

(Longue hésitation) J’ai reçu quinze prix mondiaux pour mes films, trois films jusqu’à maintenant, en plus de ceux que j’ai faits avec Frédéric Back; j’étais son collaborateur et assistant. En 1999, j’ai été en nomination pour un Oscar avec mon film Sunrise Over Tiananmen Square, dans la catégorie des courts documentaires. J’ai aussi été honoré en 2006 par la prestigieuse Guggenheim Memorial Foundation.

Quel est votre passe-temps favori?

Eh bien... la musique; le football (soccer) et le badminton. Et je fais occasionnellement de la peinture.

Et pour terminer, si vous nous disiez ce qu’il y a de plus important dans la vie?

Une famille heureuse; une bonne santé et une carrière de réalisateur réussie. Bien sûr aussi la compassion, l’amour, la responsabilité envers la société...

Big-bisous à toutes et à tous. @+Domi&Xiu.ReporterchineXiu

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